Christian Brenner
Les Belles Heures
Sogni D’Oro, Les Petites pierres, Nove De Agosto; Le Voyage; Praia Do Forte; Les Belles heures, Um Passeio A São Pedro De Alcântara, Lua Vermelha, Terre Happy
Christian Brenner (p, elp, key), Stéphane Mercier (as, fl), Cristian Faig (fl), Cassio Moura (g), Arnou de Melo (b), Mauro Borghezan (dm)
Enregistré en mai 2014 et janvier 2015, Florianópolis (Brésil)
Durée: 52’ 42’’
Jazz Brenner Music 001/2016 (www.christianbrennerjazz.com)
Christian Brenner fait du voyage un principe d’ouverture au monde, ramenant de ses pérégrinations des couleurs, des senteurs, des saveurs, qu’il intègre à la trame de ses compositions personnelles. Il découvre le Brésil en 2011, en parallèle de l’organisation des soirées au Café Laurent à Paris (voir son interview dans ce numéro 679), où il programme des sessions majoritairement acoustiques, qui correspondent tant à ses goûts personnels qu’au jazz enraciné qu’on associe aux grandes heures du quartier de Saint-Germain-des-Prés.
La particularité de cet album, Les Belles heures, est que le saxophoniste et flûtiste belge Stéphane Mercier joue sur les quatre premiers titres, tandis que l’argentin Cristian Faig joue de la flûte sur les cinq restants. Avec une tonalité plus acoustique sur la première moitié du disque, et divers claviers électriques sur les pièces jouées avec le flûtiste, beaucoup plus teintées d’harmonies sud-américaines, on passe donc du post-bop emblématique de l’artiste, mâtiné de quelques influences classiques, à une musique sud-américaine du plus bel aloi, sans jamais perdre les qualités associées au talent de Christian Brenner, à savoir introspection et sens de l’harmonie, associés aux velléités contemplatives et esthétiques qui parcourent les neuf pistes de l’album. «Sogni d’Oro» amorce une tentative d’approche du continent sud-américain tel qu’on peut le percevoir de Paris, avec une sorte d’objectivation de l’exotisme destinée à rendre plus authentique la relation sous-tendue. Sur «Les Petites pierres», on voit affleurer les influences classiques qui jalonnent le parcours artistique du pianiste, les changements de tonalité du morceau évoquant par moments l’art du contrepoint propre à Jean-Sébastien Bach. On remarque au passage que Christian Brenner conjugue ces influences avec un sens du rythme et de l’orchestration jazz bien plus convaincant que celui de nombre de ses pairs. A nouveau présentes dans «Le Voyage» et «Les belles heures», on reste confondu du brio avec lequel le claviériste les intègre à la trame de ce qui s’avère être une authentique approche world music de la culture brésilienne. L’artiste a voulu conférer à l’œuvre enregistrée une unité qu’auraient pu menacer les deux formations instrumentales distinctes qui interviennent sur l’album. Il y est parvenu d’une façon remarquable si on considère le fait qu’il utilise des claviers électriques sur les cinq derniers titres, au nombre desquels le fameux Fender Rhodes sur lequel s’illustrèrent des claviéristes comme Terry Trotter. Une autre trademark de Christian Brenner est l’aspect très progressif de structures reliées entre elles par un entrelacs d’harmonies dont les liaisons s’établissent aux termes de circonvolutions mélodiques multiples. Le lent développement des idées qui préside au squelette de la plupart des compositions fait partie de la magie du jazz telle que Christian Brenner la conçoit. Sans passage de témoin obligé au moment des solos, les interventions lumineuses de Stéphane Mercier et de Cristian Faig insufflent à cet album une fraicheur et une richesse telles qu’on peine tout d’abord à concevoir ce que ces compositions doivent à la guitare de Cassio Moura. Car il s’agit bien ici d’un jazz conçu par des musiciens qui jouent ensemble plus qu’ils ne font leurs gammes chacun dans leur coin. Une musique que pourrait sans doute illustrer la formule de Paul Auster «Le monde est dans ma tête, ma tête est dans le monde».
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°679, printemps 2017